Née d’un partenariat entre entreprises, administrations publiques et l’École des Mines de Paris, la Chaire Logistique Urbaine MINES ParisTech a pour ambition de développer la connaissance opérationnelle et théorique dans le domaine de la logistique urbaine.

Arnaud de La Fortelle

Entretien avec le professeur Arnaud de La Fortelle, son titulaire, autour d’un enjeu devenu phare pour les grandes métropoles françaises

Que représente l’enjeu de la logistique urbaine pour les grandes métropoles françaises ?

Sans marchandise en ville, il n’y aurait ni touristes, ni activités commerciales, ni industries. Cela signifierait donc plus aucun bureau ou habitant en ville… La logistique urbaine regroupe des choses extraordinairement différentes : des livraisons de palettes d’eau très lourdes sans grande valeur et a contrario des outils microinformatiques minuscules extrêmement couteux. Nous avons besoin des deux et pour autant, ils n’ont absolument pas le même schéma logistique. Il existe des centaines de schémas liés à des centaines de milliers de produits différents. La question n’est donc pas de trouver la bonne solution de transport et de logistique urbaine mais la combinaison qui créerait le meilleur consensus. Sur l’écologie par exemple, supprimer le véhicule 35 tonnes en ville peut sembler être une bonne solution mais s’il est remplacé par 35 vans qui transportent une tonne, cela n’a plus aucun intérêt, bien au contraire.

Comment travaillez-vous sur ces sujets au sein de la Chaire Logistique Urbaine MINES Paris Tech ?

Nous essayons de savoir comment comprendre, expliquer et simplifier le sujet afin de permettre aux acteurs de prendre les bonnes décisions. Nous réfléchissons à des problématiques concrètes d’un point de vue scientifique notamment à l’aide de données que nous collectons, transformons et simplifions par des modèles touchant à l’IA, à l’IoT, au Big Data…  Notre objectif final étant de faire travailler des acteurs aux intérêts différents : métropoles, commerces et industriels, pour faire émerger un consensus sur les meilleures mesures à prendre.

Selon vous, où en est la prise de conscience dans les grandes municipalités de l’Hexagone ?

Les municipalités ont tout à fait conscience de l’importance de la logistique et de son implication dans la ville au quotidien, et ce depuis longtemps. Ce qui est nouveau néanmoins, c’est la prise en compte des enjeux que cela implique en matière de logement, d’emploi et la qualité de vie. Le sujet est donc beaucoup plus complexe que ce que l’on imagine. Et l’essor du e-commerce vient encore bousculer tout cela notamment avec la fragmentation de la livraison.

De quelles façons les transporteurs peuvent-ils agir pour accélérer l’avènement d’une logistique à la fois urbaine et durable ?

C’est une question très compliquée à laquelle il n’existe pas de bonnes réponses. Le transport regroupe deux approches très différentes : les transporteurs BtoB qui optimisent les tournées, diminuent les coûts et une deuxième approche qui consiste à exploser la valeur de la logistique et à effectuer la livraison via des prestataires externes. Cette approche soulève la question de la durabilité de ce type de pratique. Aller trop loin dans l’ubérisation peut-être un risque. À contrario, les transporteurs BtoB sont déjà les plus efficaces possibles mais devront faire face à certaines mutations sur la gestion des flux à l’intérieur de la ville. Exemple ? Comment s’adapter si l’on supprime les places de livraison ? Il y a urgence à apporter un débat éclairé pour que l’ensemble des citoyens et des professionnels puissent mettre en place les bonnes solutions. Mais ces dernières ne seront pas universelles, elles dépendront des problématiques de chacune des villes concernées.

Quelles sont les réflexions majeures à mener dans les prochaines années autour de la logistique urbaine ?

Il s’agit d’abord de savoir comment discuter de manière raisonnable avec le citoyen et tous les acteurs concernés. Notre rôle est de produire une connaissance compréhensible. Nous travaillons sur une thèse autour de la simulation et de l’aide à la décision. Nous testons dans ce cadre un outil dédié, développé en interne. Une municipalité décide par exemple d’interdire les poids lourds ou de mettre en place une taxe. Elle peut tester la façon dont la logistique évoluera en fonction de sa décision, et ce selon plusieurs indicateurs comme la production de pollution, de bruit, le coût de la logistique et les répercussions de ces coûts. Cela ressemble presque à un jeu permettant de trouver la bonne politique selon ses propres problématiques et critères. Au travers de cet outil, nous souhaitons aider à prendre des décisions mieux motivées, plus intelligentes et intelligibles aux yeux du citoyen.