Le contexte de pandémie nous apprend à mieux cibler les faiblesses de nos chaînes logistiques. Il convient de mettre en place des actions de sécurisation dès à présent puis de construire les solutions de livraison de demain.

Plus que jamais, la livraison du dernier kilomètre doit préparer l’avenir en intégrant la gestion des risques sanitaires. 

Dans l’émission La Terre au carré du 20 avril dernier[1], Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe d’experts du GIEC, nous donne sa vision de « l’après ». Valérie Masson-Delmotte caractérise la situation actuelle avec le mot « fragilité » qu’elle considère comme le contraire de la résilience. Selon la scientifique, la fragilité n’a pas pour autant de connotation négative, car l’identification des vulnérabilités et des expositions est essentielle dans la gestion des risques, afin de les réduire. « Voir ses fragilités est aussi une force, cela permet de savoir où agir et comment agir ».

Comment les fragilités de la livraison, mises en évidence dans cette crise, peuvent-elles devenir une force pour mieux préparer le « monde d’après » ?

Des fragilités liées à l’équilibre des flux et aux approvisionnements

Au-delà du coût des équipements, les acteurs doivent réorganiser continuellement leurs activités, ils adaptent quotidiennement la planification de leurs ressources pour répondre à la fluctuation des activités de leurs clients, ils réaménagent les plages horaires de travail notamment pour favoriser la distanciation sociale ; tous ces éléments représentent des coûts complémentaires qui affaiblissent les marges déjà étroites. Certains segments de la livraison du dernier kilomètre sont en croissance (l’alimentaire) alors que d’autres sont totalement arrêtés ou ralentis comme l’e-commerce non alimentaire. Mais les véhicules ne sont pas toujours les mêmes…

La mondialisation, qui se traduit par des chaînes d’approvisionnement en flux tendus et une dépendance des importations sur des composants ou du matériel stratégique, constitue en situation de pandémie une fragilité. Nous retrouvons cette dépendance sur l’origine de principes pharmaceutiques actifs, importés d’Inde ou de Chine, mais aussi sur les équipements de protection et sur de très nombreux autres secteurs.

Enfin, un circuit logistique court et efficace est nécessaire pour répondre à l’urgence. En réponse à la fragilité des stocks de masques, le projet Résilience, constitué d’un groupement national de PME du textile, d’entreprises d’insertion et d’entreprises adaptées vise à fabriquer des masques et équiper en distribution de proximité les services publics, les entreprises des secteurs prioritaires ainsi que les associations d’aide aux plus démunis. Au triptyque « Qualité-Coût-Délai » qui caractérise la logistique s’ajoutent les caractères durable et sociétal de la démarche caractérisée par des solutions de livraison de proximité.

Des actions à mener dès à présent

La santé des acteurs de la livraison est devenue un enjeu majeur pour continuer à assurer l’approvisionnement des biens de première nécessité. Plusieurs leviers ont été activés par les transporteurs. Tout d’abord, les livreurs ont été formés au respect des règles sanitaires.

La livraison sans contact est devenue la norme pendant le confinement. Une palette de solutions a été développée pour répondre à l’urgence, dont une partie est exposée dans notre article du 14 Avril. Au-delà du port de matériel de protection, le spécialiste de l’aménagement d’utilitaires Gruau a conçu un système de cloisonnement sanitaire pour habitacle. Ce système simple et amovible permet d’isoler chaque occupant du véhicule, notamment lorsqu’il y a deux livreurs dans le véhicule.

La préparation de l’après COVID-19 est différente selon la situation des entreprises. Pour les acteurs de la livraison qui sont en pleine activité, il s’agit de se sécuriser voire d’augmenter les capacités de transport. A l’issue de la crise, les réseaux de transport seront certainement perturbés et les ports saturés. Pour les logisticiens qui sont à l’arrêt aujourd’hui, il faut donc anticiper la reprise, par exemple en préréservant des capacités de transport.

La livraison sera-t-elle plus verte ?

Il est probable que cette période renforce les synergies entre les différents acteurs de la Supply Chain avec plus de transparence. La digitalisation de la Supply Chain et la Blockchain pourraient alors connaître une croissance plus rapide. Une partie de la production pourrait être relocalisée en Europe, transformant ainsi les flux. Il est également probable que les niveaux de stock augmentent, agissant ainsi sur l’immobilier logistique.

Les comportements des consommateurs à l’issue du confinement influenceront beaucoup les flux de transport du dernier kilomètre. La livraison à domicile, qui connaît une forte croissance, perdurera-t-elle ? Si tel est le cas il faudra adapter les moyens, les capacités de livraisons et s’organiser pour répondre à la demande sur le long terme.

Selon une étude de la société italienne de médecine environnementale (SIMA), il est probable que la concentration de particules fines aide le virus à stagner et à circuler dans l’air ambiant. Une corrélation entre la qualité de l’air et le nombre de cas atteints de coronavirus a été constatée dans le Nord de l’Italie, notamment dans la plaine du Pô. Une autre étude publiée le 17 mars dans The New England Journal of Medecine établit que le COVID-19 peut rester accroché 3h sur des particules fines en suspension. Bien que la survie du virus pendant sa phase active sur des particules en suspension reste encore à prouver, il est plus que jamais nécessaire de s’orienter vers des solutions de livraison écologiques. Les villes pourraient donc jouer cette carte, en adaptant leurs réglementations et en accompagnant les investissements engagés.

Nous parlons souvent de « crise » du COVID-19. Ce terme désigne un phénomène ponctuel et sous-entend que la situation se rétablira « comme avant », ce qui semble toutefois illusoire dans le cas présent. Les acteurs de la livraison du dernier kilomètre ont alors un rôle stratégique à jouer pour accompagner la transformation de la demande.


[1] https://podcloud.fr/podcast/la-tete-au-carre/episode/les-entretiens-confines-avec-valerie-masson-delmotte-la-question-de-la-solidarite-est-fondamentale